Grippe A : "Créons une force de réflexion rapide" La grippe A (H1N1) continue de se propager à travers le monde. Le bulletin rendu public, vendredi 5 juin, par l'Organisation mondiale de la santé (OMS), dénombrait 21 940 cas confirmés, dont 125 mortels, dans 69 pays. Le passage au niveau d'alerte 6, phase déclenchée quand deux régions du globe sont touchées par une propagation autonome du virus, serait "imminent". Le docteur Keiji Fukuda, numéro deux de l'OMS, a ainsi reconnu que le monde "se rapprochait" de sa première pandémie grippale du siècle. Cela constituera un tournant décisif, selon Patrick Lagadec, directeur de recherche à l'Ecole polytechnique et spécialiste de la gestion de crise et du risque. Dans un entretien, il invite à ne pas se contenter d'établir des prescriptions techniques, mais surtout à "se préparer à l'imprévisible". Le passage au niveau 6 de l'alerte OMS autour de la grippe A (H1N1) semble inévitable. Qu'en pensez-vous ? Ce passage confirmera la dynamique dans laquelle nous sommes installés depuis le début de la crise. Je ne suis pas dans le processus de décision, mais il me semble qu'il aurait fallu faire très vite de la réaction à la propagation du virus - même si la pandémie n'était pas déclarée - une sorte d'exercice mondial. Cela étant, dans l'implosion financière internationale, on a attendu que le niveau 6 soit dépassé pour intervenir... Quelles sont les caractéristiques de cette crise sanitaire ? Elle rassemble quatre types de crises. Il s'agit d'abord d'une grosse catastrophe potentielle, qui sollicite une forte puissance logistique et une chaîne de commandement efficace. C'est également un "événement crise", comme nous en avons connu dans les années 1990, avec la mise en place de centres opérationnels, d'une communication ad hoc, sans oublier la transparence affichée et la pédagogie en direction du public. Elle représente aussi une "crise de système" qui nécessite un leadership politique fort. Enfin, le risque d'une dislocation de nos sociétés est à prendre en compte, et face à cela, il faut des personnes capables de réinventer une stratégie et une réflexion à partir du terrain. L'une des difficultés, pour les gouvernants, de l'épidémie de grippe A(H1N1) est de déterminer les dispositifs les plus adaptés. Vaut-il mieux pécher par excès de précaution, en prenant des mesures très contraignantes (rassemblements interdits, arrêt des manifestations sportives, etc.), ou décider de ne pas le faire compte tenu de leurs conséquences économiques et sociales ? La seule réponse, selon moi, est de réfléchir en temps réel. Un expert indiquait que, dans une pandémie grippale, si au cinquantième cas, on arrêtait l'ensemble des transports sur le territoire américain, cela ferait gagner seulement huit jours sur l'expansion de la maladie. Comment un plan de réponse à une pandémie doit-il être élaboré ? La première page du plan doit être blanche. Certes, il faut présenter les outils techniques qui aideront à contrer la pandémie, mais au premier signal, le plus important est de commencer par réfléchir. Une stratégie évidemment insupportable pour les autorités, qui ne peuvent apparaître comme prises au dépourvu. Selon elles, les experts ne sont pas là pour se poser des questions mais pour y répondre. Les modèles sont faits pour travailler sur des systèmes relativement stables. Avec des défis chaotiques comme une pandémie grippale, tout vole en éclats. Que se passerait-il si, en octobre, nous n'avions pas seulement le retour du H1N1, mais aussi une crise économique qui se durcit ? Les plans face à une pandémie peuvent être une nouvelle ligne Maginot : être prêts, mais pas là où il le faut. La communication de crise pousse à faire le plus simple possible, du genre "Mieux vaut un mauvais plan que pas de plan du tout". La plupart du temps, elle consiste à donner des stratégies clés en main aux gouvernants. Je ne dis pas que les stratégies de réponse à la pandémie sont inutiles, mais elles ne doivent pas dispenser d'une réflexion stratégique. Celle-ci s'articule autour de quatre questions : de quoi s'agit-il ? Quels sont les pièges à éviter ? Avec quels acteurs va-t-il falloir travailler ? Quelles initiatives prendre dans un environnement de nature chaotique afin d'enclencher des cercles vertueux ? Nous devons constituer ce que j'appelle une "force de réflexion rapide" transnationale, qui ne soit pas une assemblée, avec un représentant par pays. Quel changement les crises du XXIe siècle représentent-elles par rapport à celles des siècles précédents ? Le grand changement est la mutation du pilotage face à la crise. Il nécessite de se focaliser sur des logiques de décisions plus que sur les plans à dérouler. Dans The Age of the Unthinkable ("L'Age de l'impensable"), Joshua Cooper Ramo écrit : "Nous entrons dans un âge "révolutionnaire". Et nous y entrons avec des idées, des dirigeants et des institutions formatés pour un monde révolu depuis des siècles." Propos recueillis par Paul Benkimoun. L'OMS incite à poursuivre la production de vaccins. L'Organisation mondiale de la santé (OMS) a décidé de maintenir, pour le moment, son niveau d'alerte 5, et fait trois recommandations : intensification de la surveillance de flambées inhabituelles de maladies ressemblant à une grippe et à une pneumonie sévère ; poursuite de la production de vaccins ; non-fermeture des frontières et pas de restriction aux voyages internationaux. Le passage par l'OMS à un seuil d'alerte 6 ne signifiera pas mécaniquement un passage à un stade 6 pour les 193 pays membres de l'organisation internationale. C'est aux gouvernements d'en décider. La France est aujourd'hui au stade 5A. Le plan national "Pandémie grippale" ( www.pandemie-grippale.gouv.fr ) prévoit les stades 5B et 6, qui limitent, entre autres, les transports et les rassemblements collectifs.